Adonwe

Adonwe

pour piano et orchestre de 22 musiciens (1994). Durée: 24’

Partition Adonwe

Interprètes : Marc-André Hamelin, piano; Ensemble contemporain de Montréal, dir. Véronique Lacroix

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Vers l’âge de quinze ans, certains jeunes gens partaient à la recherche d’une vision. Ils s’enfonçaient dans la forêt, durant une quinzaine de jours, sans vivres, et attendaient que l’esprit se manifeste à eux et prédise leur avenir. C’est aussi à cet âge que le jeune homme recevait la révélation de sa mélopée personnelle ( adonwe en iroquois) qui l’identifierait dorénavant en cas de danger.

Bruce Trigger, Les Enfants d’Aataentsic , Editions Libre Expression, Chapitre 1, page 30

En fait, le jeune indien (le piano) n’a pas la partie facile, comme dans toute épreuve initiatique fondatrice d’une identité et d’une appartenance. Les huit parties de ce concerto/concertant, très clairement séparées par les signaux de timbales, sont un peu comme autant de fragments ou flashes d’une musicothérapie vécue par le protagoniste. Dans son rapport avec l’orchestre (l’environnement réel tel qu’intériorisé: forêt, faune, humains de sa tribu), il passera à travers une grande confusion (1ère et 2ème parties: contrepoint à 4 couches, 2 au piano, 2 à l’orchestre), un affrontement (3ème partie: contrepoint piano/orchestre), un dialogue (4ème et 5ème parties: musique de plus en plus antiphonique, questions-réponses allant jusqu’à l’imbrication, l’alternance rapide, le « hocquet »), et une « mise au foyer » (6ème partie: hétérophonie) suivie d’une unanimité, d’un Einklang dangereusement entraînant (7ème partie: homorythmie longuement développée en accélérés successifs).

Et lorsqu’au terme de cette démarche, l’adonwe se présentera (8e partie: longue monodie ornée jouée par le piano et ses doublures, l’orchestre devenant fond ample et foisonnant pour cette forme), elle sera un peu comme le « ah ha » d’une prise de conscience. Adonwe -le concerto- pourrait alors aussi être « compris » comme une métaphore de la découverte, de l’invention, de la création, artistique ou autre. Auto-portrait du compositeur en jeune Huron…

Cela dit, rien ne vous empêche de trouver autre chose dans cette musique. Si la musique semble parfois coller avec le « programme » extra-musical que j’esquissais plus haut et dont le principal avantage aura surtout été de m’aider à prendre certaines décisions lorsque je composais, elle a le plus souvent suivi sa propre logique, celle des proportions, des modes, du matériau que j’avais choisis, des plans que j’avais élaborés avant même d’écrire une note, et celle des choix locaux inexplicables autrement que par «un goût», «une envie», effectués dans ces moments de « somnambulisme » dont Boulez dit qu’ils sont inséparables, dans le processus créateur, des moments conscients ou plus techniques. Alors si vous n’avez pas « vu » ici le jeune Amérindien, ne vous en faites pas…

Basé sur un matériau que je développe depuis 1989 et qui était en latence depuis mes toutes premières pièces (la forme mélodique de ce matériau serait un peu comme ma propre adonwe…), ce concerto contient par ailleurs des passages qui sont parmi les plus chargés que j’aie écrits (surtout les contrepoints des premières parties) et une harmonie assez souvent plus rugueuse que celle d’autres de mes pièces récentes, ce qui n’exclut pas certaines somptuosités et même un ou deux traits d’humour bon marché… On ne se refait pas… Pire: on empire !

Adonwe est dédié aux interprètes qui en assurèrent la création, c’est à dire: Marc-André Hamelin, pianiste extraordinaire, Véronique Lacroix, chef visionnaire, et les musiciens et musiciennes de l’Ensemble Contemporain de Montréal, de même qu’au « mécène » qui l’a rendu possible, Laurent Major de la Société Radio-Canada ainsi qu’à sa compagne, pour les remercier du travail qu’ils accomplissent tous deux pour la promotion et la diffusion de la création musicale au Québec.

Michel Gonneville, 11 avril 1994