Suivre la trace, perdre le fil

Suivre la trace, perdre le fil

pour quatuor à cordes (2000)

Partition Suivre la trace, perdre le fil

avec l’aimable autorisation des interprètes : Quatuor Molinari

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Pièce écrite à la demande du Quatuor Molinari, Suivre la trace, perdre le fil est basée sur le même matériel qu’une autre musique que je composais en parallèle pour ce même ensemble et qu’on entendra dans quelques jours, juxtaposée/superposée à celles écrites par 18 autres compositeurs pour 333 musiciens, lorsque se réalisera le grand projet de la Symphonie du Millénaire. Dans les deux cas, c’est l’hymne grégorienne Veni Creator qui a servi de point de départ et qui a été transformée. Il en est resté quatre phrases mélodiques de 8 notes qui adoptent à peu près le contour des quatre phrases originales de l’hymne. Puis, pour le cas de l’œuvre de ce soir, toute une organisation par 4 s’est ensuite généralisée, quatuor oblige, vraie « mathématique », ou géométrie, ou symétrie gouvernant le plaisir de la construction : 4 parties de 4 sections (ou phrases) chacune, chaque section présentant 4 « musiques » dans l’un ou l’autre de 4 tempi. Les 4 musiques sont définies d’après le nombre de couches indépendantes : 1 couche : homorythmie des 4 instruments; 2 couches : dialogue/antiphonie de 2 groupes de 2 instruments; 3 couches : contrepoint à 2+1+1 instruments; 4 couches : contrepoint à 4. Les tempi sont très clairement séparés par l’équivalent d’une « octave temporelle » et sont toujours présentés dans le même ordre : l’unité peut être égale à la double-croche (tempo assez vif), à la triple-croche (très vif), à la croche (plutôt modéré), et enfin à la noire (lent). Les phrases ayant toujours la même quantité d’unités, il en résulte pour elles 4 durées absolues différentes (de toujours 16, 8, 32 et 64 secondes, dans cet ordre). À cela s’ajoute 4 densités d’ornementation, depuis la non-ornementation de chacune des 8 notes d’une phrase jusqu’à une ornementation assez abondante, où les 8 notes originales ne servent plus que de pivots auxquels s’accrochent les notes ornementales. La permutation des types de « musiques » et des densités d’ornementation se conjugue avec les répétitions symétriques de tempi mentionnées plus haut pour créer l’impression d’entendre quelque chose de reconnaissable d’une partie à l’autre, mais qui serait suffisamment différent pour que l’on « perde le fil », effet qui est accentué par le jeu libre avec les types d’attaques (pizz, arco, tremolo, etc), ou par les quelques transitions ajoutées entre les phrases, ou encore par l’arrivée d’un cinquième protagoniste : le métronome… Ah oui, j’oubliais : il y a aussi les 4×4 transpositions des phrases; le mode issu de la série des harmoniques et différentes autres techniques que j’utilise depuis 1989 et dont je découvre sans cesse de nouvelles facettes; le mode d’harmonisation intégrant des consonances relativement simples, complexifié par un jeu de mixtures; la brève citation des 4 phrases originales, etc…

En guise de coda, le court Amen de l’hymne est lui aussi utilisé, 4 fois, dans les 4 tempi, selon les 4 types de musique, …

Pièce sans « programme », contrairement à plusieurs de mes œuvres récentes, donc plus « abstraite », plus « pure »; pièce plus fragmentée mais dont les symétries finissent par faire apparaître une logique, une continuité; Suivre la trace, perdre le fil est aussi une pièce-plaisir : plaisir de la construction doublé de celui de s’être constamment représenté, en composant, le geste physique des membres du quatuor à cordes, cet ensemble « monstre sacré » dont l’histoire, depuis les salons du XVIIIe jusqu’à nos salles de concert, mérite d’être continuée… Le quatuor, ou l’intimité envahissante, puissante… J’y ai risqué une première contribution.

Jan 30, 2016 | Publié par dans Articles Œuvres | Commentaires fermés sur Suivre la trace, perdre le fil