Critique degré zéro…

…une réponse à la critique de Christophe Huss concernant l’œuvre de Serge garant présentée au concert de la SMCQ du 28 octobre 2010 (voir http://www.ledevoir.com/culture/musique/309851/concerts-classiques-les-delires-de-walter). Inédit…

 

Critique degré zéro…

 

Qu’une œuvre lui plaise ou non n’est pas ce qui distinguera le chroniqueur musical du simple mélomane. Se limiter à l’expression d’un « coup de cœur » serait le degré zéro de la critique. On s’attend à ce que le critique développe son propos et qu’il mette à contribution une culture que l’on souhaite la plus large possible. Ainsi articulée, une chronique musicale constitue un apport appréciable à l’histoire du goût, ce goût dont on pourrait dire qu’à défaut d’en disputer (c’est-à-dire d’en résoudre objectivement les désaccords), on ne saurait se priver d’en discuter.

Quand le critique s’aventure cependant sur le terrain plus risqué du jugement de valeur, là où même les philosophes et esthéticiens se sont cassé les dents, (dire ce n’est pas bon n’est pas du même ordre que j’ai détesté…), on peut lui souhaiter bonne chance, car le risque est grand de se retrouver au bêtisier du genre, qui est déjà bien fourni.

Malheureusement, on devra sans doute y ajouter la formule qu’a utilisée le critique du Devoir à propos d’Amuya, une œuvre de 1968 du compositeur québécois Serge Garant, reprise le 28 octobre dernier par l’ensemble de la SMCQ dirigé par Walter Boudreau. Citons : une neige épaisse et fondante (c’est ce que veut dire Amuya) pas mal fondue tant elle porte son âge. Après le concert, plusieurs personnes qui « ont l’oreille » pouvaient tout au contraire s’émerveiller avec moi de ce que la séduction sonore de cette pièce restât intacte, à plus de 40 ans de distance, servie d’ailleurs par une interprétation magnifique. On pouvait également souligner la belle variété formelle de cette musique, en constatant qu’elle n’était pas incompatible avec la légendaire rigueur de construction du compositeur. Quant au potentiel évocateur d’Amuya, qui procède d’une musique originalement écrite pour le film L’homme et les régions polaires présenté à l’Expo 67, on s’entendrait facilement pour dire que l’œuvre dépasse son titre et qu’elle entraîne l’imagination vers une nordicité de rocs, de lacs, de glaces qui se brisent et de pergélisols miraculeusement fleuris, dépeinte par un Sibelius moderne.

Consacrer une petite ligne lapidaire à cette œuvre, après les paragraphes sur le Frankenstein !! du compositeur autrichien HK Gruber interprété au même concert, est malheureusement emblématique des choix éditoriaux de la critique musicale au Devoir. Le même sort exigu était réservé à la création (c’est moi qui souligne) de Irons de Wolf Edwards (Victoria, BC) et à la reprise de Zénith de Louis Dufort (Montréal), les deux morceaux qui complétaient le programme. En considérant la lancée de longs articles consacrés ces dernières semaines aux chefs d’orchestre locaux et internationaux, à leurs salaires, assignations, rééditions d’enregistrements et scandales sexuels, faudra-t-il s’étonner du peu de place qui restera dans les pages du Devoir pour les quelques 70 créations de compositeurs québécois à l’affiche pour cette seule saison 2010-2011 ? Cette prolifération musicale enthousiasmante, dans une multitude de genres, sert pourtant un déni éloquent à la thèse actuelle qui stigmatise à répétition l’immobilisme et la paralysie du Québec. Si l’identité culturelle d’une nation n’est pas une chose figée, définie uniquement à partir des acquits du passé, du patrimoine et des valeurs traditionnelles, mais plutôt, d’abord et avant tout, un caractère qui se construit dans l’action, la projection dans le futur et la créativité, une culture variée est en train de se bâtir ici, sur le plan musical, où le goût trouvera sans peine réussites et chefs-d’œuvre. C’est de cette culture-là, d’abord, dont on aimerait que Le Devoir répercute les échos…

 

Michel Gonneville

compositeur

 

Fév 1, 2016 | Publié par dans Carnet | Commentaires fermés sur Critique degré zéro…