Notice du compositeur
Voies impénétrables m’a été commandé par la cheffe Véronique Lacroix pour figurer au programme d’un concert-hommage dédié à Serge Provost, compositeur et professeur au Conservatoire de musique de Montréal, où lui et moi avons été collègues pendant 18 années.
Lorsque, peu avant ma retraite du Conservatoire, on a émis devant moi l’hypothèse de la maladie d’Alzheimer dont Serge pouvait souffrir, mes épaules s’affaissèrent : des comportements s’expliquaient, des inconséquences. Malgré nos différences, nos vies professionnelles souvent parallèles, une grande tristesse me venait à imaginer le destin de cet homme sensible et singulier.
Au concert-hommage sera jouée une œuvre que Serge avait composée en 1995 pour le groupe torontois Arraymusic : O Magnum Mysterium
Quelques années auparavant, en 1992, j’avais composé Alonetogetherall pour le même groupe, d’un instrumentarium presque identique, avec un piano en plus. L’ensemble que je devais respecter pour l’œuvre brève qu’on me commandait était celui de l’œuvre de Serge.
L’adon était trop beau. Toutes deux emblématiques de nos styles et de nos sources d’inspiration, si différents, ces pièces devaient aussi, dans cette commande, au moins se côtoyer, à défaut de pouvoir jamais se comprendre réellement.
J’ai donc retenu de l’œuvre de Serge une citation, arrangée, de l’Alleluia grégorien de la fête de Saint-Michel Archange (!), dont une partie est d’ailleurs une reprise de l’Alleluia du Saint-Sacrement (cité par Messiaen dans ses Couleurs de la cité céleste). J’ai confié les sixtes parallèles de cette citation aux steel pans en reprenant aussi son accompagnement par les gongs thaïlandais. Pendant ce temps, clarinette, trompette, violon et contrebasse élaborent un matériau entendu dans la 3e partie d’Alonetogetherall qui porte le sous-titre de Mount Sawtooth. Family Hike.
Le contraste entre les deux musiques saute à l’oreille. Les petits ratés, sursauts, blocages et mises en boucle de l’une provoquent des réactions croissantes chez l’autre.
Jusqu’à ce que la prise de conscience de la maladie impose le silence à la solennité comme à la légèreté.
Michel Gonneville
Septembre 2022