Cette œuvre a été inspirée par un tableau de l’artiste visuel Mario Côté.
Intitulé A.A.P.M, 26 rue du Départ, ce tableau m’a frappé notamment par la beauté de sa construction.
(voir le tableau ICI sur le site personnel de l’artiste)
Seize surfaces (ou secteurs) de quatre types, caractérisées par l’emploi d’autant de techniques distinctes (monochromes, damiers dans les gris-blancs, technique à l’éponge et citations d’autres œuvres visuelles), sont encadrées / délimitées par des droites dont certaines dessinent, sur l’entièreté du tableau, une grande onde « en dent de scie ». Ces droites sont elles-mêmes « épaissies » par des rectangles colorés qui leur sont souvent parallèles.
Cette construction singulière est partiellement expliquée par les esquisses et croquis de Mario Côté. Invité à faire partie d’une exposition collective sur le thème de la maison, l’artiste a plutôt choisi de s’inspirer de l’atelier que Piet Mondriaan avait loué à Paris, au 26, rue du Départ, entre 1921 et 1936, et qu’il a minutieusement aménagé et décoré sans pourtant l’occuper substantiellement pour y créer de nouvelles œuvres. Curieusement, le plan de cet atelier affiche le profil légèrement asymétrique d’une maison avec toit à pignon. Ce profil se voit bien sur le côté gauche du tableau de Côté, et son renversement en occupe le côté droit.
C’est ainsi que l’atelier a pu évoquer la maison de la thématique imposée. C’est aussi sur ses esquisses que Mario Côté a inscrit la phrase (symétrique et palyndromique) qui est devenue le titre de mon quatuor à cordes. Fasciné par cette construction, mais aussi par les évocations qu’elle suscitait, j’ai élaboré une forme qui pourrait évoquer le travail quotidien de l’artiste. C’est ainsi que des sections qui se veulent des essais de « transposition » (ou de « traduction ») des techniques plastiques utilisées par le peintre, alternent, en tant que « périodes de travail », avec les autres moments de la « vie quotidienne » du peintre – ou du compositeur ! – (nuits, matins, pauses midi, soirées), ces alternances s’étendant sur un total imaginé de 8 « journées ». Par ses trois citations d’œuvres d’Anni Albers, le tableau de Mario Côté contenait une dimension référentielle qui m’a également inspirée. Les « traductions » de ces secteurs, contrairement aux autres, ne cherchent pas à s’inspirer des caratéristiques visuelles des œuvres citées, mais deviennent des citations à part entière d’œuvres musicales contemporaines de la période à la fois de l’atelier de Piet Mondriaan (P.M.) et des œuvres d’Anni Albers (A.A.). Il s’agit d’extraits des premier et second mouvement du Quatuor opus 28 (1938) et de l’un des Cinq Canons opus 16 (1923-24) d’Anton Webern.
(Voir ICI un plan formel de l’œuvre)
Le Quatuor Molinari est devenu commanditaire de ce qui était initialement un projet personnel. Olga Ranzenhofer, directrice artistique et premier violon du groupe, a choisi d’inscrire les Trois pièces pour quatuor à cordes (1914) d’Igor Stravinsky au programme du concert prévu pour la création de mon quatuor. Cette décision a été le déclencheur / inspirateur pour le choix du matériau de toutes les sections de la « vie quotidienne ». Tous les « matins » font ainsi référence à la première des pièces de Stravinsky, tous les « midis » à la seconde, et tous les « soirs » à la dernière. Mais Stravinsky ne s’en tire pas indemne, car sa rythmique est « croisée » avec les mélodies des refrains et couplets de la chanson emblématique du chansonnier québécois Gilles Vigneault, Mon pays, dont quelques vers me semblaient particulièrement bien s’associer à la thématique qui guidait mes décisions.
Ma maison, c’est votre maison.
…La chambre d’amis sera telle
Qu’on viendra des autres saisons
pour se bâtir à côté d’elle.
La maison (l’atelier) est un atelier (une maison) où naît et grandit une œuvre, et je bâtis mon œuvre à côté de celle de Mario et ce faisant, je me bâtis moi-même. La nécessité d’un texte s’est ensuivie, apparaissant lors de l’ultime nuit-coda, une nuit soutenue comme toutes les autres par un glissando, onde en dent de scie maintenant complète et ininterrompu. Ce texte développe formellement les symétries du titre et sémantiquement la métaphore de la création-enfantement. Arrivé là, le matériau artistique a alors été manipulé jusqu’à satisfaction (la naissance).
(Consulter ICI le texte de la coda)
En ajoutant une voix obligée au quatuor, un clin d’œil historique supplémentaire s’est inopinément ajouté, dirigé celui-ci vers le second quatuor (1907-1908) d’Arnold Schœnberg, qui, justement, allait également figurer au programme du concert de création évoqué plus haut.
Michel Gonneville, Janvier 2024