Solidaires

pour quatuor d’ondes Martenot. Durée 18m30

Partition


Solidaires a reçu son titre vers la fin du travail de composition, en décembre 1981, soit peu après la répression du syndicat Solidarité (Solidarnosc) en Pologne. En plus de se relier à l’évènement historique pour le commémorer, il m’a semblé que ce titre illustrait bien la relation existant entre les quatre « partenaires » que représentent les ondes, et ce, dans chacune des quatre parties de l’œuvre. Ces parties pourraient d’ailleurs être sous-titrées comme suit, selon la thématique qui est restée présente à mon esprit pendant tout mon travail : imploration depuis la souffrance, compassion et mort; méditation sur cette mort; appels à l’action; et enfin : action.

Il s’agirait donc d’une « musique à programme » ? Je ne m’en défend pas : ce « programme » m’a aidé à faire des choix tout au long de mon travail. C’est « l ‘idée », si vous voulez. Et je trouve passionnant le dialogue constant entre cette idée extramusicale (constituée de mots, d’images) et le matériau concret et spécifiquement musical (les notes, les rythmes, les textures), un dialogue mené en vue de la cohérence de l’œuvre sur ces deux plans.

Successivement, on entendra donc :

1) après une brève introduction, une mélodie d’imploration entourée de ses propres ombres ou échos (hétérophonie) et progressant crescendo.

2) Après ce sommet, dont l’onde imploratrice s’est brusquement échappée en glissandi vers l’aigu, une seconde mélodie, en quatre membres, très lente et très douce, est énoncée, et sur les trois reprises de laquelle viennent successivement se greffer, en contrepoint, une deuxième et une troisième voix, et, enfin, la quatrième onde, lentement redescendue de ses hauteurs. Une codetta conclut cette partie, lente descente sur balancement paisible.

3) Depuis ce repos, une troisième mélodie se prépare, puis s’élance, deux fois énoncée, et sur laquelle deux autres ondes viennent de plus en plus se synchroniser (homorythmie), en même temps qu’une pulsation régulière s’affirme peu à peu à la basse. Cela s’arrête sur une note, lancinamment répétée.

4) À partir de là, une quatrième mélodie (faite de huit intervalles de quintes successifs) est exposée puis reprise sept autres fois, en antiphonies variées, les quatre ondes, distinctes par leurs timbres, alternant pour finalement bâtir une unanimité. Solidaires.

À l’époque où j’ai composé Solidaires, mes recherches techniques oscillaient entre un post-sérialisme adapté à mes besoins et envies, et des combinatoires intervalliques cherchant à briser certains tabous harmoniques. Ici, en ce qui a trait aux hauteurs, l’œuvre explorait une autre direction en s’inspirant cette fois de la série harmonique, ce qui a entraîné l’emploi extensif du quart de ton pour se rapprocher des intervalles non tempérés de cette série. Huit ans plus tard, à partir de Chute / Parachute, ce matériau deviendra mon champ principal d’exploration. En ce sens, Solidaires est une œuvre charnière.

Écrite pour les membres de l’Ensemble d’ondes de Montréal (pour l’occasion : le fondateur Jean Laurendeau (onde III), avec Suzanne Binet (I), Lucie Filteau (II) et Johanne Goyette(IV)), Solidaires a été créé et joué en concert (notamment au Holland Festival en juin 1985) et également enregistré pour la radio de Radio-Canada (22 mai 1983).

MG (1982 / mai 2022)